Hayat Boumeddiene© DR Hayat Boumeddiene

Depuis l’été 2014, il ne s’est guère passé une semaine sans que l’on apprenne qu’une femme a participé à un acte extrémiste ou terroriste. Le groupe Boko Haram utilise des femmes kamikazes pour semer le chaos au Nigeria. De Denver à Vienne, des jeunes femmes revendiquant leur soutien à l’Etat islamique (EI) sur Facebook, Twitter et Tumblr, et surnommées les « califettes » en référence au califat, s’enfuient en Syrie pour épouser des djihadistes.

Plus récemment, Hayat Boumeddiene, la compagne d’Amedy Coulibaly, l’un des auteurs des attentats terroristes des 7, 8 et 9 janvier à Paris, est aujourd’hui la terroriste présumée la plus recherchée au monde. Malgré cette tendance croissante, les stratégies de lutte contre les extrémismes ne prennent généralement pas en compte les femmes.

 

Les sociétés occidentales considèrent depuis trop longtemps les femmes, et les musulmanes en particulier, comme les victimes de l’idéologie fondamentaliste. Tout le monde est aujourd’hui choqué de découvrir que celles-ci peuvent véhiculer cette idéologie tout autant que les hommes – en tant qu’oratrices vindicatives choisies pour encourager ceux qui ne peuvent s’engager sur le terrain à provoquer le plus de dégâts possible dans leur pays, en tant que partisanes intransigeantes, sinon violentes, de l’application stricte des lois islamiques (c’est le cas de la brigade des femmes Al-Khansaa à Raqqa), et en tant que mères de la prochaine génération de djihadistes.

Stratégies marketing

L’Institute for Strategic Dialogue (ISD), qui suit les comptes des réseaux sociaux des jeunes femmes vivant dans l’Etat islamique (EI), a constaté l’apparition d’une sous-culture des femmes djihadistes sur Internet : devenir une « califette » leur conférerait du pouvoir.

Le spectre des Occidentales radicalisées partant combattre en Syrie ne devrait surprendre personne un tant soit peu au fait des mécanismes d’endoctrinement et de recrutement extrêmement sophistiqués et très pointus technologiquement qui sont déployés par l’EI. Il emploie des stratégies marketing pair-à-pair, en l’occurrence fille-à-fille, des applications amplifiant l’impact des tweets, recourt aux archétypes des comportements mimétiques et à l’imagerie des jeux vidéo et diffuse des vidéos filmées à l’aide de GoPro sur le terrain.

Ces moyens de propagande de haute technologie complètent l’exportation agressive et le financement des idéologies obscures qui visent depuis plus de vingt ans à éradiquer les diverses pratiques traditionnelles et indigènes musulmanes existant dans le monde.

Nous devons comprendre l’attrait qu’exerce l’extrémisme dans le contexte plus global que représente cette évolution patente des pratiques religieuses et culturelles et dans le nouvel environnement médiatique apparu après le 11-Septembre, dans lequel les musulmans de la génération du millénaire sont confrontés à des défis identitaires que leurs parents n’ont pas connus. Dans ce clivage intergénérationnel, les filles, en particulier, rompent avec les traditions que perpétuaient jusqu’alors leurs mères et leurs grands-mères.

Urgence

Si les autorités chargées de la sécurité sous-estiment le rôle des femmes, les groupes extrémistes en comprennent en revanche très bien l’importance. L’EI affiche clairement sa volonté de recruter des femmes étrangères, avec la création d’un « bureau des mariages » pour gérer leur arrivée.

Dans un discours tenant à la fois des relations publiques, du soutien au moral des troupes et de la stratégie d’édification d’un nouvel Etat, les femmes sont appelées à construire le « califat », et c’est là un élément capital. Etant donné qu’elles incarnent les premiers vecteurs de transmissions culturelle et religieuse (par le biais des enfants), plus les femmes sont engagées idéologiquement, plus le projet extrémiste porte ses fruits. En 2011, Al-Qaida a lancé un magazine féminin appelé Al-Shamikha et Boko Haram possède une aile féminine.

Alors que la présence des femmes dans les organisations extrémistes n’est pas nouvelle, l’ampleur du phénomène – 200 à 300 jeunes femmes européennes auraient rejoint l’EI et les femmes représentent aujourd’hui de 10 % à 20 % des combattants occidentaux dans certains pays – nécessite d’examiner ce problème de façon urgente et beaucoup plus sérieuse que ne l’ont fait les autorités jusqu’à présent.

En offrant à ses partisans bien davantage qu’un simple rôle de combattants, le « califat » recueille aujourd’hui de nombreux suffrages. Il est urgent que nous comprenions comment les discours extrémistes parviennent à combler des manques dont nous avions à peine connaissance. Il nous faut pour cela nous intéresser en profondeur aux motivations et à l’histoire des jeunes femmes qui rejoignent ces mouvements. Nous devons aussi considérer les extrémismes comme des mouvements sociaux, dont l’adoption ou le rejet dépendent fortement de la présence des femmes.

Aussi violentes que leurs homologues masculins

Nous devons mener une contre-campagne efficace, sur Internet et ailleurs, pour proposer d’autres voies à ces jeunes femmes. Il est indispensable que des voix crédibles s’adressent aux plus fragiles et que nous déployions le même arsenal technologique et les mêmes stratégies pair-à-pair que les extrémistes. Les deux jeunes Autrichiennes qui s’étaient enfuies, en avril 2014, de Vienne pour rallier l’EI, devenant ainsi des « califettes » emblématiques, auraient depuis téléphoné à leurs parents pour leur faire part de leur déception et de leur désir de rentrer. Ces témoignages pourraient constituer notre meilleure arme anti-propagande.

Enfin, nous devons soutenir localement les personnes et les groupes qui s’efforcent de protéger leurs traditions culturelles, souvent avec peu ou pas de moyens financiers, de promouvoir la diversité au sein de l’islam et de défendre dans les communautés des modèles qui proposent aux femmes des possibilités et des perspectives différentes.

Les « califettes » commencent tout juste à apparaître sur la scène internationale. Si rien n’est fait, elles deviendront assurément un phénomène mondial majeur. Pis, si l’on en croit leurs envois prolifiques de tweets – ainsi que l’a étudié un rapport de l’ISD à paraître – nous avons affaire à des femmes prêtes à commettre des actes terroristes, aussi violentes que leurs homologues masculins.

Pour l’instant, l’EI les limite à un rôle d’incitation à la violence sur Internet. Cependant, tout comme d’autres groupes extrémistes, Boko Haram par exemple, il a montré qu’il pouvait changer de tactique si nécessaire. Nous ne sommes peut-être plus loin du moment où ces femmes perpétreront des attentats dans des villes occidentales. Nous pouvons endiguer cette montée de la radicalisation mais, pour y parvenir, nous devons trouver dès maintenant des réponses pertinentes.

Par Sasha Havlicek, directrice générale du think tank Institute for Strategic Dialogue, et Farah Pandith, chercheuse associée au Council on Foreign Relations

Farah Pandith a été la première représentante spéciale des communautés musulmanes nommée auprès du Département d’Etat américain. Avec Sasha Havlicek, elle a fondé The Women and Extremism Initiative.