ÔTER LA PAILLE ( Charles Nicolas )
Je lis le début du chapitre 7 de Matthieu, où se trouve le passage de la poutre et de la paille : 1Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. 2Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez.
3Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'oeil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil? 4Ou comment peux-tu dire à ton frère: Laisse-moi ôter une paille de ton oeil, toi qui as une poutre dans le tien? 5Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton oeil, et alors tu verras comment ôter la paille de l'oeil de ton frère.
Comme toutes les paroles de Jésus, celle-là est à la fois simple et incroyablement bouleversante.
N'importe qui comprend qu'avec une poutre dans son œil, on ne peut pas ôter une paille de l’œil de son frère. D'abord parce qu'on ne la voit pas ! Et si on la voyait (parce que parfois on voit mieux ce qu'il y a chez les autres que chez soi), on risquerait fort de lui crever l’œil plutôt que de l'aider. Du coup, cela ne fait rien avancer : je garde ma poutre, lui sa paille, et, en plus, son œil est blessé ! Nous sourions, mais cela arrive plus souvent qu'on le croit...
Souvent, nous déduisons rapidement de ce passage : surtout ne pas s'occuper des autres ! Chacun sa paille, ou sa poutre. Ceux qui raisonnent ainsi s'appuient, en plus, sur le début de ce passage où Jésus dit : Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés. Combien de fois on a entendu cela, pour rappeler qu'il n'y a rien à dire et rien à faire. Je n'ai pas à m'occuper des autres ; et (surtout), que personne ne vienne se mêler de mes affaires ! On appelle cela la tolérance.
En France, cette auto protection est encore favorisée par la sacralisation de la sphère privée. Sur ma vie personnelle, personne n'a le droit de dire quoi que ce soit. C'est ma vie.
La question qui peut se poser est celle-ci : cette mentalité s'accorde-t-elle avec l'enseignement de l'Ecriture, notamment pour ce qui est des relations fraternelles entre chrétiens ? Je ne le crois pas.
Certes, la sphère privée existe : le couple, la famille, ma relation avec le Seigneur... Même dans le couple, chacun garde une vie propre, notamment dans la prière. Chaque enfant a aussi droit à son intimité, qu'il convient de respecter. Cela veut dire que nous avons tous des limites à respecter. Cela veut dire que personne ne peut prendre la place de Dieu ! C'est important.
C'est d'ailleurs là le sens du fameux : Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés. C’est vrai, en un sens, Dieu seul juge, car Dieu seul voit parfaitement, clairement tout ce qui existe, le visible et l'invisible. Il n'y a ni poutre ni paille dans l’œil du Seigneur !
Paul dira par exemple : Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Ou pourquoi méprises-tu ton frère ? Puisque nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Christ... Ainsi, chacun de nous rendra à Dieu pour lui-même (c'était le message de dimanche dernier). Ne nous jugeons donc plus les uns les autres ; mais pensez plutôt à ne rien faire qui soit pour votre frère une occasion de chute (Rm 14.10-13).
Faut-il donc en rester au « chacun pour soi », sous le prétexte de l'amour ou de la tolérance ? Ce n'est pas ce que dit Jésus.
Jésus ne dit pas : "Ne faites rien !" (Paul non plus ne le dit pas, d'ailleurs).
Jésus dit : "Il y a deux manières de procéder. L’une est mauvaise et l'autre bonne".
La question n'est donc pas : Faut-il faire quelque chose ou rien ?
La question est : Comment agir de manière juste, utile, efficace ?
La réponse est claire : Ôte premièrement la poutre de ton œil (veiller d'abord sur soi-même), et alors, tu verras... comment ôter la paille de l'oeil de ton frère. Et il en sera heureux et reconnaissant !
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Ici, il nous faut revenir quelques instant sur le verbe juger. On a souvent mentionné ce verbe comme s'il n'avait qu'un sens négatif : Ne jugez pas. Mais dans la Bible, ce même verbe a souvent un sens positif. Il signifie : Être en mesure de faire la différence entre ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Et dans ce sens-là, il devient non seulement permis mais fortement recommandé. Il devient même alors un signe de maturité !
Écoutons ce que dit Paul aux Corinthiens, dans le contexte d'une querelle entre chrétiens : Ne savez-vous pas que nous jugerons le monde ? Et si c'est par vous que le monde est jugé, êtes-vous indignes de rendre les moindres jugements? Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Et nous ne jugerions pas, à plus forte raison, des choses de cette vie ?... Ainsi donc, il n'y a parmi vous aucun homme sage qui puisse prononcer entre ses frères ? (1 Co 6.1-5).
Et dans la lettre aux Hébreux, je lis ceci : La nourriture solide est pour ceux dont le jugement est exercé par l'usage à discerner ce qui est bien et ce qui est mal (5.14).
Je remarque d'ailleurs que juste après le texte sur la poutre et la paille, Jésus dit cette parole étonnante : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux. Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que Jésus veut dire par là ; mais ce que je comprends, c'est que quand il dit : Ne jugez pas, il ne dit pas : "Fermez les yeux car tout est pareil !"
Non, Jésus ne dit pas : « Fermez les yeux. Il n'y a rien à voir ».
Il dit : Ôte premièrement la poutre de ton œil. Alors, tu verras !
Il ne dit pas : Il y n'y a rien à faire pour ton frère ou ta sœur qui a un problème.
Il dit : Il y a d'abord quelque chose à faire pour toi-même. Après, tu verras !
Concernant ce qu'il y a à faire pour soi-même, il y a deux situations possibles :
Il se peut que je sois aveuglé sur un problème qui me concerne. Je ne le vois pas. Je suis empêché de le voir. Ou encore je refuse de le voir... Cela peut durer 10 jours ou 10 ans. Vais-je beaucoup avancer pendant ce temps ? Vais-je avoir un bon témoignage pendant ce temps ? Vais-je avoir un service fécond pour les autres et pour le Seigneur, pendant ce temps ? Cela n'est pas certain. Je vais demeurer comme un enfant dans la foi (mais dans le sens négatif du terme...).
Il est souhaitable alors qu'un frère ou une sœur qui aura, lui, enlevé la poutre de son œil, soit conduit par le Seigneur à me venir en aide. Encore faudra-t-il l'accepter. Et là intervient cette règle si importante : Si je veux pouvoir aider les autres, je dois accepter d'être aidé moi-même !
Il se peut aussi que je sois bien au courant de ce qui ne va pas, mais que je trouve des excuses: « Je suis comme cela. Cela fait partie de mon caractère, etc. » Croyez-vous que cela va aider à aller de l'avant ? Croyez-vous qu'il y aura des progrès ? Peu de progrès, peu de vies transformées, peu de joie, peu de puissance...
Frères et sœurs, laissons les excuses à ceux qui ne connaissent pas Dieu !
Ne nous retirons pas en arrière quand la lumière de Dieu dévoile un aspect de notre vie qui n'est pas à son honneur. Reconnaissons ce qu'il nous a déjà montré une fois, dix fois, cent fois, mille fois peut-être et confessons-le comme une chose qui, ne faisant pas partie de notre identité en Christ, peut et doit être rejetée résolument ; rejetée et remplacée par quelque chose de nouveau qui reflétera la nature de Christ en moi. C'est possible, frères et sœurs. C'est possible !
Et là aussi, Dieu utilisera peut-être (sans doute) un frère ou une sœur pour me venir en aide. Si c'est le cas, serai-je à même de l'accueillir ? Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul, dit Jésus. Mais je suis peut-être d'abord le frère ou la sœur qui a besoin d'être repris, avant d'être le frère ou la sœur qui sera en mesure de reprendre...
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Concernant ce qu'il y a à faire pour mon frère ou ma sœur, je ferai quelques remarques seulement :
Rappeler d'abord que dans la Bible, le frère ou la sœur c'est toujours le frère et la sœur en Christ. Si ton frère a péché, va et reprends-le, c'est dans l'Eglise . La paille dans l’œil de ton frère, c'est dans l'Eglise. Cela ne signifie pas qu'il n'y a rien à faire pour ceux de dehors (ou rien à recevoir d'eux), mais ces commandements concernent la communauté chrétienne. Et ce sont des commandements !
Ensuite, remarquons que nous pensons souvent que le quelque chose qui ne va pas (chez l'autre ou chez soi) est de l'ordre du péché. Mais cela peut aussi être de l'ordre de la souffrance. Une paille, cela fait mal... En réalité, c'est les deux.
Retenons qu'une souffrance non apaisée dans ma vie constitue aussi un obstacle pour la marche chrétienne, pour le témoignage, pour le service, dans les relations... Et donc, je dois aussi accepter que quelqu'un puisse me rejoindre sur ce point-là (c'est peut-être cela, ma poutre – ou une de mes poutres) pour être touché par la grâce et être en mesure, ensuite, de rejoindre un frère ou une sœur dans sa souffrance.
En fait, beaucoup de nos péchés sont dus à des souffrances. Ce n'est pas une excuse ; mais c'est une partie de l'explication. J'ai été blessé et je deviens susceptible. J'ai été agressé et je deviens agressif. J'ai été déçu et je ne fais plus confiance...
Mais la grâce de Dieu est à même d'apporter son secours pour ma souffrance comme pour mon péché.
Laissons cette grâce circuler entre nous. Laissons-la nous atteindre, avec humilité. Laissons-nous rejoindre par nos frères et nos sœurs sans mettre sans cesse des protections, des distances, des dérivatifs qui évitent d'évoquer les questions sensibles dans nos vies. Cela sera bon pour nous. Cela sera aussi un signe pour ceux qui nous entourent : nos proches, nos enfants, ceux qui croiseront notre route et qui verrons ce que c'est que de « marcher dans la lumière ».
Si je peux accepter d'être visité, consolé ou repris avec humilité, alors je pourrai visiter, consoler et, s'il le faut, reprendre avec humilité, de la part du Seigneur.
Les hommes ont besoin de voir la différence que fait l'Évangile. Il ne s'agit pas tellement d'être parfait, avec une sorte de perfectionnisme légaliste et hypocrite. Mais il s'agit qu'il y ait des progrès. Il s'agit que nous soyons secourus... pour être en mesure de secourir. Pourquoi ? Pour le bien que nous en retirerons ? Oui, mais pas seulement. C'est aussi pour qu'il soit visible que le Seigneur est au milieu de nous comme celui qui nous secourt ! Comme celui qui a dit : Je serai tous les jours avec vous.
Il y a du chemin à faire ! Bon courage, bonne route !
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